Dans un paysage économique où les signaux d’alerte se multiplient, la Tunisie fait face à une situation alarmante qui combine une augmentation sans précédent de la circulation fiduciaire, un ralentissement de la croissance économique et une diminution des prêts bancaires, reflétant une crise structurelle plus profonde que de simples fluctuations circonstancielles. Derrière ces indicateurs se cachent une économie en déliquescence et une autorité qui semble incapable de lire et de contenir la réalité.
L’inflation fiduciaire : Quand les citoyens fuient le système financier
La circulation fiduciaire hors banques a atteint un niveau record de 23,8 milliards de dinars en mai 2025, soit une augmentation de 13 % en un an, selon les dernières données de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
La nouvelle loi sur les chèques a créé un état de panique qui a incité les citoyens à éviter les opérations bancaires et à se tourner vers l’argent liquide. Mais derrière ce comportement « simple » se cache un rejet croissant du système financier formel et une préférence alarmante pour la monnaie fiduciaire, dans un contexte qui laisse présager l’expansion du marché noir et l’érosion de l’assiette fiscale.
Une croissance fragile dans une économie sans moteur
Le deuxième pilier de ce paysage troublé est la baisse de la croissance économique au cours du premier trimestre 2025 à seulement 1,6 %, contre 2,4 % au trimestre précédent, alors que la loi de finances tablait sur une croissance de 3,2 %.
Malgré une contribution temporaire des secteurs du tourisme et de l’agriculture, les indicateurs de l’économie réelle restent négatifs : L’industrie manufacturière est en déclin, l’investissement privé stagne et le déficit commercial s’aggrave. Le pays consomme plus qu’il ne produit, importe plus qu’il n’exporte et finance sa croissance par des prêts et des transferts de fonds plutôt que par une production intérieure durable.
La crise de confiance accentue la réticence des citoyens à emprunter
Le troisième indicateur est le ralentissement de la croissance des crédits bancaires, notamment les crédits aux particuliers. En 2024, la valeur des nouveaux crédits n’a pas dépassé 569 millions de dinars, contre 851 millions en 2023. La raison n’est pas la prudence, mais les déficits.
L’inflation, les taux d’intérêt élevés et l’instabilité fiscale ont fait de l’emprunt un luxe que peu de gens peuvent se permettre. Les prêts à la consommation, les prêts automobiles et même les prêts immobiliers sont au point mort. Les banques ferment les robinets, aggravant le cycle de paralysie de la consommation et de l’économie.
Une législation improvisée… et des réformes qui aggravent la crise
Plus que les chiffres, c’est la réaction de l’État qui est inquiétante, car elle témoigne d’un manque évident de diagnostic et de traitement. Au lieu de réformer l’environnement des entreprises ou d’injecter de la confiance dans le marché, les autorités adoptent une série de lois punitives et de décisions improvisées, comme par exemple :
- La loi sur les chèques, qui a perturbé le système financier.
- La loi sur la résiliation des contrats de travail à durée déterminée, qui menace des milliers d’emplois.
- L’absence d’une politique d’investissement claire, dans un contexte d’incertitude financière et structurelle. L’économie ne se gère pas à coup de slogans
La Tunisie ne traverse pas une crise de circonstance, mais une crise de santé économique. Des politiques improvisées, confondant discours moral et gestion publique, ont privé le marché de confiance, déplacé les investisseurs et encouragé les individus à se retirer du système.
L’économie ne peut être pilotée par les seules injonctions. L’argent échappe à la censure, l’investissement à l’incertitude, le citoyen aux institutions qui l’affaiblissent.
La trilogie de la crise : Monétisation sans contrôle, croissance sans fondamentaux et prêts sans capacité.
Lorsque les trois indicateurs sont replacés dans leur contexte, une image holistique se dégage :
- Perte de confiance généralisée dans le système financier.
- Une croissance fragile incapable de créer des emplois ou de stimuler l’investissement.
- Paralysie du marché financier due à l’effondrement du pouvoir d’achat.
Il ne s’agit pas d’un symptôme passager, mais d’une manifestation d’une grave déconnexion entre l’économie réelle et l’autorité politique, qui continue à adopter des lois au lieu d’initiatives, et à se contenter de slogans au lieu de réformes sérieuses.
Peut-on espérer une sortie de crise ?
L’espoir est encore possible, mais il nécessite un changement radical des mentalités et des politiques. L’État doit revenir aux principes de base : Transparence, prévisibilité, consultation et efficacité. Sans cela, la Tunisie continuera sur la voie d’une lente contraction, non pas d’un effondrement soudain, mais d’une asphyxie progressive et douloureuse.